Extrait d’une conversation de 5 membres de la République Sans Tout Ça autour de l'évocation d’écrire un manifeste collectivement, par le biais d’un questionnaire à choix multiples proposé par le EUPC (nom provisoire qui deviendra le COR):
- Le manifeste: a) rassemble, b) oblige, c) ressemble à la structure catholique chrétienne.
- Pourquoi la structure catholique chrétienne ?
- Ça partait d’une comparaison entre la culture catholique et la culture
juive, où dans la première le texte est uniquement interprété par des
personnes qui se sacrifient pour la cause - donc des moines qui étudient
la bible et en donne l’interprétation «juste», tandis
qu'intrinsèquement dans la deuxième, il y a l’idée de mettre en doute le
texte et d’en discuter ensemble.
- Et quelque part dans notre conversation, après avoir fait le constat
de cette différence d’idéologie, Gil a dit que pour lui, dans le mot
«manifeste», il pouvait y avoir ce rapport au texte qu’a la culture
chrétienne - que ce n’est pas inclus dans le texte lui-même de pouvoir
le re-discuter; que c’est quelque chose qui est au départ le travail de
spécialistes, et qui est ensuite donné au peuple tel que ceux-ci l’ont
décidé.
- Et je dois choisir une des réponses ?
- Si tu veux.
- Bien, les quatre à la fois...
- Il n’y avait que trois possibilités ! (rires)
- C’est quoi la quatrième alors ?
- Le manifeste: d) provoque l’apparition de questionnaires à choix
multiples... Non, mais ça dépend de ce qu’il contient, d’où il vient,
par qui il est fait... de plein de choses. Je pense qu’il est toujours
un peu dans les quatre réponses à la fois si on veut. Le manifeste est à
considérer comme une trace de ce que font des artistes, et en cela
c’est intéressant: un élément, une pièce parmi tant d’autres... Cela
dépend de comment il est écrit: il peut être écrit de manière à ce qu’il
rassemble plus qu’autre chose.
- Moi je trouve que ça fige les choses, un manifeste. Définir, alors
qu’on n’est pas forcément obligé de définir les choses tout le temps.
- Mais le manifeste peut servir aussi à rassembler.
- Ça rassemble, peut-être, ceux qui veulent participer, mais aussi ça
sépare de tout le reste du monde, de tous les autres artistes qui font
d’autres choses. De s’affirmer par un manifeste, ça veut dire qu’on
construit quelque chose de bien spécifique, qui peux se différencier de
telle ou telle autre chose.
- Ou alors, c’est aussi donner une proposition qui est clairement énoncé
à tous, une proposition qui cherche à provoquer des réactions.
- Oui, c’est aussi une invitation, et un rassemblement. Il y a des
manifestes qui ont permis à des artistes de se retrouver, malgré les
distances géographiques. Ces artistes ont énoncé leurs intentions, qui
sont intéressantes maintenant d’un point de vue historique, et qui
peuvent inspirer de bonnes choses.
- C’est donc quand même l’idée de laisser une trace.
- Comme toute œuvre d’art, le manifeste est une trace, oui.
- Mais dans «manifeste», il y a l’idée de «manifester», de dire haut et
fort «on est là, on existe, nos revendications sont telles et telles».
- Alors, utilisons le terme de «déclaration d’intentions», ou «hypothèse de travail»...
- Pour moi un manifeste c’est beaucoup plus qu’une hypothèse de travail...
- Plus une affirmation...
- Ça dépend du manifeste... C’est tout à fait possible, par le
truchement de l’écriture, de l’ouvrir au maximum... À savoir que
certaines avant-gardes ont écrit des dizaines de manifestes, l’un après
l’autre, et en faisant cela elles se réactualisaient continuellement...
- Est-ce que les artistes se retrouvaient vraiment dans ces manifestes
finalement ? Est-ce que dans leurs vies et dans leurs actes ils s’y
retrouvaient vraiment ?
- C’est un sujet dont on peut discuter... dans la deuxième question
justement. Pour une discussion ou un échange théologique, vous
choisiriez: a) un juif, b) un chrétien, c) autre. Si vous choisissez le
c), vous n’avez pas à vous justifier; pour les deux premières réponses,
vous devez expliquer pourquoi.
- Et pourquoi ne doit-on pas se justifier pour le c) ?
- C’est la dictature de l’accord. C’est-à-dire que quand on est
d’accord, on ne doit jamais se justifier, et lorsque que l’on est en
désaccord, on doit se justifier.
- Et pourquoi serions-nous en désaccord avec le juif et le chrétien ?
- «Juif» et «chrétien» sont deux mots qui sont définis, on assume que
chacun connaît leurs définitions, alors que «autre» représente un
possible qui n’est pas défini, qui nous oblige à nous expliquer. À
partir de là, je trouvais que la nécessité de s’expliquer devait être
inversée.
- Mais pourquoi des juifs, des chrétiens et des autres ?
- Parce que c’était dans notre discussion... Alors ?
- Autre, autre.
- Sarah ?
- Pour moi, les trois.
- Explique-nous alors pour le juif et le chrétien.
- Parce que ce sont des religions qui sont quand même largement majoritaires, et ce serait bête de les éviter.
- Moi aussi, j’aurais tendance à dire les trois, mais pour des raisons
différentes. Car sur l’a-priori sur lequel on est parti - celui d’une
plus grande ouverture de la part du juif pour discuter des textes - ça
pourrait être aussi intéressant, et beaucoup plus difficile, de se
confronter à une position radicalement fermée.
- Troisième question. Pour commencer à écrire en commun: a) vous faites
une chaîne de lettres, b) vous utilisez Google Documents, c) vous faites
un atelier collectif sur «comment écrire en commun ?», d)
autre.
- J’imagine que c’est un peu toutes les réponses. Je compte par exemple
donner ce que j’ai écrit à l’un d’entre vous, pour qu’il fasse quelque
chose avec, et le donne ensuite à quelqu’un d’autre. Après, il y en a
probablement certains qui préfèrent écrire, comme d’autres préfèrent
sculpter; et donc il y aura sûrement des inégalités dans la part de
travail, mais c’est normal... Sinon on tomberait dans le communisme
d’état.
- Moi, je dis: d) l’enregistrer. (rires)
- L’instant présent...
- Clara ?
- Moi je trouve que le système des lettres qu’on s'envoie, c’est pas
mal. Personnellement, j’ai besoin de temps, de trouver le bon moment
pour écrire. De l’envoyer par la poste, cela ajouterai la notion de
temps, de cheminement.
- Moi j’aime vraiment bien la chaîne de lettres aussi, mais pour finir
je n’ai rien contre la réponse c), même si on peut douter de son
efficacité.
- Mais «comment écrire un manifeste ?» est une question qu’on se pose inévitablement au moment d’écrire un manifeste.
- Ce n’est pas «comment écrire un manifeste ?», mais «comment écrire en commun ?».
- Il faut laisser la réponse ouverte...
- Oui, il faut laisser la réponse ouverte, et faire un atelier
là-dessus, ça peut vouloir dire offrir de nouvelles possibilités...
- On est dans un atelier ! (rires)
- C’est vrai que ça a un côté absurde et inefficace de négocier pour
savoir comment on va négocier. On dirait qu’on n’arrivera jamais nulle
part comme ça... mais moi j’assume assez bien cet aspect-là. (rires)
- Et bien justement, pour arriver nulle part, la dernière question...
Quelle forme le manifeste doit / peut avoir: a) un poème, b) le graver
sur une pierre, c) un manifeste, d) un questionnaire à choix multiples,
e) autre.
- Toutes ces formes à la fois, dans le meilleur des cas. Après, cela
dépend de chacun: ceux qui y mettrons la main pourront lui donner la
forme qu’ils veulent, et ce pourra être un enchevêtrement de formes
différentes.
- Ça rejoint l’article 1 de notre constitution, c’est-à-dire que tout
peut toujours être changé par les membres de la République.
- On a justement, dans cette conversation, soulevé la contradiction entre cela et l’idée de faire un manifeste...
- Mais, par exemple, Sylvain a fait son manifeste sous la forme d’un
questionnaire à choix multiples... Et quelqu’un peut ensuite travailler
par-dessus, et ainsi de suite, les pierres se rajoutent l’une après
l’autre à l’édifice.
- Donc, quelque part, ce serait les formes qui en étant collectives deviennent le manifeste. On laisse le choix au temps ?
- Oui, et à la pluralité de chacun d’entre nous.
- Il y en a qui peuvent faire un travail à part entière par eux-même, et
après ce travail va soit inspirer les autres indirectement, soit
directement être récupéré et réutilisé. Ça, c’est la première
possibilité. Une autre possibilité, c’est de réussir à faire des choses
ensemble, dans le même espace et le même temps. Et ces deux possibilités
sont intéressantes.
- Mais il y a quand même une différence entre un manifeste et faire des
choses ensemble, non ? Ou alors je ne comprends pas très bien la notion
de manifeste.
- Ou alors ce serait justement le moyen de se libérer de la notion de manifeste... en l’appelant manifeste ?
- Est-ce qu’aujourd’hui, en 2011, on a besoin de faire un manifeste pour nos moments de création collective ?
- On en a pas forcément besoin.
- Alors, est-ce qu’on en a envie ?
- C’est sûr que tout ça tourne au départ autour de la définition du mot «manifeste», et de ce que chacun entend derrière.
- Moi j’ai envie de continuer, de communiquer avec ceux que ça
intéresse, de diffuser nos idées, de créer des événements et des
rencontres.
- Je suis complètement d’accord. Être dans la rencontre avec d’autres
personnes, qui comme nous tentent d’agir sur le réel, sur les espaces de
vie... Mais est-ce qu’il faut forcément un manifeste pour pouvoir
prendre contact avec eux et leur proposer quelque chose ? Je n’en suis
pas sûr... Pourquoi pas une bibliographie, pour dire quels sont les
artistes et les livres qui nous ont marqué...? Ça en dit déjà beaucoup.
Et des images de nos actions, qui pourraient donner envie de nous
rencontrer... Je trouve que les mots enferment plus qu’autre chose, en
fait. Certains mots et certaines phrases peuvent résonner dans les
oreilles de l’un mais pas du tout dans les oreilles de l’autre.
- Oui, les mots enferment. On a besoin d’eux, mais ils nous trahissent.
C’est important de savoir s’en passer, ou plus clairement, de savoir les
interpréter dans leur richesse, et en prenant en compte leurs limites.
Ce travail, tu le fais d’abord en maîtrisant le langage, pour ensuite
pouvoir le surpasser. Cette compréhension du langage comme outil limité
face à la pensée, c’est un travail que chacun devrait faire. Et donc en
ce qui nous concerne, utilisons les mots en allant dans ce sens-là.
C’est important d’utiliser les bons mots.
- Les bons mots... Un dictionnaire par exemple reste subjectif, donc...
les bons mots, j’aimerais bien savoir ce que ça veut dire. On utilise
chacun des mots aussi pour compléter notre expression plastique, mais de
là à dire qu’il est nécessaire de maîtriser le langage pour pouvoir
après s’en défaire et s’exprimer d’autres manières, j’ai un sérieux
doute, parce qu’alors rien de ce qu’on exprime ici ne sert à quoi que ce
soit.
- Je n’ai pas compris du tout.
- Les mots ! (rires)
- C’est par rapport à ce que tu as dit : qu’il fallait «maîtriser» le
langage... Tu n’as pas parler de perfection, mais c’est ce que j’ai cru
comprendre...
- Non, je voulais simplement dire: avoir conscience de la subjectivité
des mots, c’est déjà surmonter cette subjectivité. Tout ce qu’une
personne qui écrit peut espérer, c’est que ses lecteurs possèdent ces
qualités, voire qu’ils les acquièrent en la lisant... Et chacun d’entre
nous crée des images et des traces à un moment ou un autre, et les
soumet à la subjectivité du regardeur. Les mots aussi sont des traces.
Il faut avoir le courage de les utiliser pour se jeter à corps perdu
dans la subjectivité.
- C’est intéressant dans l’idée du collectif: quand tu disais que le
manifeste va exister à travers la réutilisation des formes qui ont été
créées individuellement, cela risque d’exclure ceux qui ne sont pas
actifs à ce niveau-là... De laisser les choses se faire par elles-mêmes,
ça laisse la liberté d’apparaître à plein de choses dont on ne souhaite
pas qu’elles apparaissent, comme l’influence du charisme de certains,
le choix arbitraire...
- Pour moi, il s’agit justement de surmonter ces choses-là, en les
acceptant un peu, mais aussi en essayant de les contrôler le plus
possible en en restant conscient à chaque instant; ceci plutôt que de
faire un discours conceptuel paralysant qui consiste finalement à dire:
rien n’est objectif, alors ne faisons rien. Jetons-nous dans la marmite
du faire !
- ...